Rentrée parlementaire anticipée

En ces temps où les zollernois abandonnaient les bureaux, les usines et les champs, où le Grand-duc et la Cour se préparait à rejoindre le château de Fischbach dans le Silverstein, les Parlementaires faisaient leur rentrée au Parlement. Il y avait les fraîchement élus, les coqueluches de la presse, les dépressifs, les joyeux, les maussades. Bref tout ce petit monde de député faisait son entrée dans un parlement renouvelé. Julius Muller, inconnu jusqu'alors devenait chef de l'opposition épaulé par la très expérimenté Baronne de Forzinger, qui doyenne de l'élection de l'assemblée, présidait la séance d'ouverture qui devait servir à élire un président. Il y a avait le ministre Mauzer que la polémique accusait d'avoir hypothéquée l'avenir du PCZ au profit de son poste ministériel, enfin il y avait le comte Felgenheim, celui qui récoltait les fruits du Prince Zabrücksi et les croquait à pleine dent. Le gros homme sentait la friture, mais désormais qu'il était Premier Ministre, l'on s'en accommodait fort bien. L'on trouvait même qu'il avait maigri... Les gens accouraient, supportaient d'engloutir moult nourriture dans les toutes nouvelles dîner-réunion, déjeuner-réunion, goûter-réunion, petit-déjeuner réunion que le tout nouveau premier ministre avait institué.

Quant au duc de Silverstein, il faisait son entrée dans cette "assemblée de frondeur et de séditieux", pour peu de temps. On disait qu'il se préparait à se retirer dans son ministère dès après la séance, on ne pouvait être membre de la Cour Suprême et du Parlement selon la Constitution. De même qu'on ne pouvait être membre du Gouvernement... Le duc de Silverstein se préparait-il à quitter la Cour Suprême ? nouvelle était de taille. Les nationaliztes perdraient là un pouvoir sûr. Le Carzinal Smith, Chancelier, à ce titre en charge de la Justice, avait fait savoir que s'il Sa Grâce le Duc de Silverstein se démettait, ainsi que le lui ordonne la constitution, de sa charge de président de la Cour Suprême, il serait logique qu'elle revienne à un membre de l'opposition. C'était plus que l'élection du nouveau président, déjà choisie par Felgenheim, l'objet des débats de couloirs.

Le Sieur Schlesien, qui devait devenir Président de l'honorable assemblée, ne boudait pas son plaisir. Ce poste clé était-il cependant fait pour ce dépressif chronique, qui semblait pouvoir fondre en larme à la moindre brimade. Rien n'était moins sûr, toujours était-il que c'était un gros lot de consolation pour l'inventeur de la Grande-Oeuvre. C'était aussi une marque de considération envoyé à la province nouvellement rattaché de Nordenmark.

Les débats débutèrent. La baronne du haut de ses quatre-ving-dix ans monta au perchoir : "Messieurs je déclare la séance ouverte. L'élection du président de notre assemblée est à l'ordre du jour. Silverstein commenta pour ses voisins : "cette vieille chouette n'est donc pas morte !"

La baronne rayonnait. Retrouver dans ces conditions - certes d'opposition, mais d'opposition conquérante - le parlement et d'en occuper par privilège d'âge, la présidence éphémère, voilà qui la remplissait de joie. Elle passa son regard, lentement, sur l'ensemble de l'assemblée. Les députés du PCZ, parmi lesquels nombre de fils - de petits-fils parfois - de gens qu'elle avait côtoyé et affronté autrefois, affichaient un air pour le moins maussade. Quelques libéraux s'étaient laissés allé à des vivats et des acclamations. Bien qu'elle s'en régale, il était de son devoir de ramener cette bouillante assemblée au calme. Seul Julius Muller était souriant mais paraissait calme et posé. Bien qu'elle ne partage pas toutes les vues de ce jeune loup, elle ne pouvait s'empêcher de lire en lui une belle ambition et une force politique rare, qu'elle n'avait plus connu chez les libéraux depuis si longtemps...

Elle prit la parole :

"Messieurs je déclare la séance ouverte. L'élection du président de notre assemblée est à l'ordre du jour. Je demanderai avant toute chose à tous de bien vouloir se calmer, sans quoi je demanderai une évacuation de séance."

La rumeur retomba.



"Très bien. J'invite les représentants des différents groupes à me faire savoir s'ils sont parvenus à un accord sur le nom du président de la Chambre. Je vous rappelle que si un tel accord n'est pas trouvé, nous ferons l'appel des candidatures et procéderons à un vote à main levée."

Schlesien en Cézar conquérant savourait l'instant. Aujourd'hui serait son triomphe.
Les petites piques libérales ne l'atteignaient pas. Ces gens là avaient tout perdu; le pouvoir, la respectabilité, l'amour du peuple. Aussi, ils se permettaient quelques piques voués malgré eux à exorciser leur cinglante défaite. Sans doute sentaient-il que le nationalizme, rénové et purgé de ses éléments extrémistes et va t'en guerre, prenaient pour longtemps les destinées du pays.
Les moqueries à l'encontre de Mauzer étaient d'un rare pathétisme, l'on se serait cru en présence d'un jeu inique de jeunes cadets de Zandhurst à l'encontre d'un bleu. Il ne manquait au tableau que l'alcool frelaté et la mauvaise brasserie de Zhite Chapel. Non, Schlesien ne prétendait pas pour autant défendre Mauzer, ce bourgeois gommeux, sans valeurs qui n'avaient pas compris comme tant d'autres gauchiztes le sens de l'Histoire, mais la tenue des libéraux au Parlement se dégradait, reverrait-on encore une sortie à la Perrayski ?
Schlesien en était arrivé là dans ces considérations lorsque la Baronne de Forzinger interpella son attention.

- Madame la députée, j'ai plaisir à vous annoncer que l'Union des Droites Zollernoises, à savoir l'union des Conservateurs et des Nationaliztes s'est entendue pour son candidat à la présidence du Parlement. J'ai l'honneur d'avoir été désigné pour ce poste.

"Merci Messieurs.

Le Parlement prend acte du désaccord entre les partis siégeant. Nous allons donc procéder à l'élection du président.

Je vais demander aux candidats à cette charge de bien vouloir lever la main et attendre que les assesseurs passent auprès de vous. Les assesseurs me transmettront les noms, que j'annoncerai et proposerai au vote."

Schlesien était pleinement satisfait et il ne s'en cachait pas. Un large sourire se dessinait derrière sa barbe broussailleuse alors qu'il attendait l'assesseur . Le triomphe était imminent.

"J'ai pour l'instant reçu la candidature du député Schlesien. Aucun autre membre de cette assemblée ne se porte candidat?

Bien nous allons procéder au vote solennel"

"Je vais demander aux membres de cette assemblée qui sont pour l'élection de M. Schlesien au poste de président de bien vouloir lever la main, les assesseurs vont vous compter. M. Schlesien étant unique candidat, je présume que tous ceux qui ne lèveront pas la main le but de s'abstenir et seront donc dénombrés comme tel. Par mon rôle de présidente, je suis de facto exclue de ce vote."

Le député Muller demande la parole avant le début de la procédure de vote.

"Madame la Présidente, en sus a notre justification de vote, le groupe libéral du Parlement souhaite faire rectifier la destination du vote libéral. Les députés libéraux voteront contre la candidature de Monsieur Schlesien. L'abstention, malgré la configuration actuelle du scrutin ne faisant pas partie de nos habitudes. Je vous remercie de bien vouloir consigner notre position et nos votes comme tels."

"J'ai bien noté votre déposition monsieur Müller, elle sera consignée dans le procès-verbal de la séance. Néanmoins, vous devez comprendre qu'en l'absence d'un autre candidat, les votes non exprimés seront rangés dans la catégorie "s'est abstenu". Notez bien qu'une abstention n'est pas une absence lors du vote et je crois que tout le monde ici avait bien compris la valeur oppositionnelle de votre choix, ajouta-t-elle avec un sourire complice."


"Néanmoins, les règles sont ce qu'elles sont. Procédons messieurs, procédons."


Les députés de la majorité levèrent la main et les assesseurs firent le décompte avant de transmettre les résultats à la Baronne qui observait avec délectation tout ce petit monde, savourant chaque instant de sa présence éphémère au perchoir.

Le Duc de Silverstein, se leva lourdement. Sa hanche, lui faisait mal aujourd'hui. Soixante douze ans pèsent sur le squelette.

Madame le Président

Silverstein mit un point d'honneur à ne pas féminiser la fonction, comme le faisait tout ces intellectuelles et ces littérateurs libéraux, promoteurs de l'inique égalité des sexes. Silverstein eut un rictus et un moment d'hésitation. Il trouvait ce jacobin Nodernois de Schlesien détestable ; puis cachant son dégoût il reprit.

Les députés nationaliztes soutiendront M. Schlesien, un des leurs, qui s'est si brillamment illustré par ses qualités intellectuelles et morales.

"Messieurs, il est temps pour moi de proclamer les résultats :

M. Erwin Schlesien : 323 voix
Absention : 207"


Quelques députés du centre-droit avaient visiblement choisis de ne pas se prononcer pour le nazionalizte.


"Je proclame donc M. Schlesien nouveau président de cette assemblée. Je vous adresse mes félicitations Monsieur et vous transmets cette charge que vous remplirez avec honneur. Je vous invite donc à monter jusqu'ici pour prendre ma place et à clore cette séance inaugurale pour ouvrir la première séance ordinaire."


Le nouveau président monta rejoindre la doyenne, qui lui glissa avant de rejoindre les rangs de l'assemblée, cette courte phrase "Que les Dieux vous viennent en aide Monsieur, vous venez d'accepter une tâche diabolique."

Schlesien adressa un sourire à la baronne. Effectivement, la présidence de l'Assemblée n'était pas de tout repos, cependant, elle offrait de nombreuses perspectives. Ainsi, Schlesien aurait l'opportunité de choisir l'ordre du jour et de classer selon ses vues les projets de lois déposés et à discuter.

Alors qu'il s'avançait vers la tribune, le nationalizte était bruyamment applaudi par ses confrères. Les conservateurs se montraient quand à eux plus mesurés. Le PNZ avait fait main basse sur le PCZ, et loin de le revigorer, le parti avait perdu son identité en s'alliant aux nationaliztes. Peut-être aussi, certains vieux conservateurs se méfiaient de lui. On savait Schlesien vaguement républicain dans ses mœurs. A ses yeux, Louis Ier régnait parce qu'il était le descendant des souverains unificateurs du Zollernberg, et non par droit divin. Schlesien s'inclinait devant lui, parce qu'il était le Père de la Patrie, et non le lieutenant des Dieux pour le Zollernberg.

- Honorables députés, chers amis.
C'est avec grand plaisir que je me retrouve aujourd'hui à la tête du Parlement. Avant de laisser ma place pour le traditionnel discours du trône de notre bien aimé souverain Louis Ier, je souhaite vous remercier pour votre confiance. Ensemble nous construirons le nouveau Zollernberg et nous conduirons les Zollernois sur la voix de la paix, du bonheur et de la prospérité.